Ultratrail Angkor Wat 100km au Cambodge

L’été dernier, j’ai gagné un dossard pour le 100km de l’Ultratrail d’Angkor Wat lors du Marathon du Médoc, pas grâce à mon classement mais dans une tombola de dossards.

Après un voyage aller réussi et un premier jour passé à visiter et à m’acclimater, les choses sérieuses ont commencé le 27.01.2024.

Petit-déjeuner à partir de 2h du matin pour les participants, navette à 3h, briefing des coureurs à 3h30 et départ à 4h du matin : si vous pensez que la course du Rennsteig en Thuringe est extrême, vous n’avez encore rien vu.

Une petite correction s’impose au départ : le personnel local n’est pas familier de tous les drapeaux du monde et le drapeau allemand a été accroché par erreur à l’envers. Ce petit faux-pas est vite corrigé avant le début du briefing.

Le briefing d’introduction et les conseils se révèlent rappeler des évidences et divaguent un peu. Bien sûr, ça ne peut pas toujours être aussi succinct et concis que sur l’île d’Öland en Suède (30 secondes en anglais rien que pour moi …).

Après le départ, nous rejoignons d’abord un labyrinthe de temples à la terrasse des éléphants. Nous avançons à la queue leu leu et un embouteillage se forme après les premiers mètres, mais l’ambiance est bonne.

Nous poursuivons ensuite sur la route vers le nord quittant le temple Bayon. Après un peu plus de 3km, nous quittons la route et nous rendons sur le trajet trail. Il fait toujours nuit noire et je bénis ma lampe frontale suffisament puissante (qui me paraissait un peu trop massive au départ). Je constate que les courses de 100km se ressemblent en partie par des détails insolites : le parcours ressemble au sentier Ho Chi Minh à Bienne en Suisse, à la différence près que le sentier à la queue leu leu ne se termine pas après quelques kilomètres mais continue bien plus longtemps. Les divers ponts, cours d’eau et autres obstacles du même type sont également intéressants.

Avant même d’en prendre vraiment conscience, les premiers 10km sont parcourus et je me sens vraiment bien et en forme. Au point de ravitaillement, je bois une gorgée d’eau et mange un fruit, et ça repart.

Au bout d’un moment, le sentier trail touche enfin à sa fin et le parcours s’élargit et nous mène le long de routes ou sur des sentiers à travers champs. J’en profite pour faire quelques photos, dans l’ensemble je suis surpris que tout se passe aussi bien. Alors que nous parcourons une route secondaire (route est à prendre ici au sens de voie consolidée, mais sans plus), nous croisons tout un groupe d’élèves à vélo sur leur chemin de l’école. Voilà un spectacle intéressant : ici, il est courant de parcourir plusieurs kilomètres à vélo pour rejoindre l’école, chose quasi impensable chez moi en Allemagne. Bien sûr, les conditions de circulation sont toutes autres, la vitesse est automatiquement modérée en raison des nids-de-poule dans le revêtement et les principaux moyens de transport sont les scooters, les tuk-tuks et le vélo. Il est donc beaucoup plus simple de garder les distances qu’en voiture. Je m’aperçois que les scooters sont assez silencieux, même pour des deux roues non électriques. Aucune idée pourquoi ces choses-là sont toujours aussi bruyantes en Europe.

Les choses se gâtent un peu à partir du 25e kilomètre : le parcours passe en ligne droite à travers champs, les nombreuses rubalises et les marquages facilitent l’orientation. Un peu avant le 30e kilomètre, la course trail des Pyramides noires dans le Nord-Pas-de-Calais me revient en mémoire : nous quittons la route et pour franchir la colline, il faut vraiment se servir de ses mains et ses pieds. Au point de ravitaillement, je m’octroye des nouilles instantanées type yum yum, ça fait du bien. Et j’ai bien fait de redemander des précisions pour la suite du parcours : nous sommes à un endroit où il faut monter pour rejoindre un temple ou point de vue puis redescendre par pratiquement le même chemin.

Entre temps j’ai un petit problème technique : ma poche d’hydratation n’est pas complètement étanche et l’eau commence sérieusement à tremper mon short et à couler le long de mes jambes jusqu’à détremper mes chaussettes. Je me rends compte que le tuyau s’est dévissé un peu, après l’avoir revissé correctement, finie la réfrigération involontaire.

La montée est facilement reconnaissable dans le profil du parcours et compte presque pour la totalité des 200m de dénivellé du parcours, tous concentrés à un endroit. L’ascension se fait par un escalier ; si j’avais su, j’aurais plus souvent été m’entraîner près de chez moi à Heidelberg-Rohrbach et gravir les escaliers de la « kleine Himmelsleiter ». Un autre coureur m’informe qu’il y a bien 700 marches, c’est sans doute vrai mais je ne veux même pas commencer à les compter. La vue est sympa, même si le temps est un peu couvert (mais je n’en suis pas mécontent, au moins le soleil ne tape pas trop). La descente se fait sur un chemin assez raide, mes chaussettes mouillées se révèlent être un véritable problème, car elles glissent lentement mais sûrement vers l’avant dans ma chaussure. Je refais une pause au point de ravitaillement et essore mes chaussettes, ça va beaucoup mieux maintenant.

Le parcours est à nouveau plat et plus ou moins du trail. Ce qui m’inquiète un peu plus, c’est qu’il commence à faire sacrément chaud et que je n’ai pas pensé à me ravitailler suffisament en eau au dernier ravito. Mais le prochain est dans 10 km au maximum, ça devrait aller. Je croise un couple de coureurs qui se sont aperçus d’avoir oublié de monter sur la colline. Un point de contrôle des dossards est situé au bas de l’escalier pour qu’aucun participant ne manque ce point marquant. Les deux coureurs vont devoir parcourir environ 10km supplémentaires à vue de nez.

Le prochain point de ravitaillement est situé directement à l’entrée du temple Banteay Samré, premier temple que je perçois comme « traversé en courant ». On aperçoit beaucoup plus des temples maintement qu’il fait jour. Le temple est directement suivi d’un pont que l’on pourrait surnommer « pont de la mort » : il devait y en avoir un autre à côté à un moment, le pont actuel est un simple ponton en bois. Pendant la nuit, nous avions déjà traversé un barrage avec un tracé et une protection quelque peu aventureux.

Le parcours serpente à travers la pleine pendant les prochains kilomètres, nous traversons régulièrement des fermes ou hameaux. Le tracé est particulier : à plusieurs reprises, nous traversons au sens propre ce que l’on pourrait qualifier de foyer ou même de salle de séjour chez nous. En passant près des cuisines, ça sent bon le riz et les légumes fraîchement cuisinés. Par ailleurs, nous passons aussi plusieurs fois par un endroit de type dépotoir, ou tout au moins lieu de stockage. Cela me donne un aperçu d’un monde que je n’aurais jamais découvert d’aussi près dans d’autres circonstances. À de nombreux endroits, des enfants jonchent le parcours et nous saluent de la main ou tendent leurs bras pour nous taper dans la main.

Le prochain point de ravitaillement longe à nouveau un temple, on y sert des gâteaux secs, ultra secs. Pour le ravitaillemnt des courses ultra, il serait peut-être préférable de s’inspirer de ce que proposent d’autres manifestations tels que la course du Rennsteig ou le trail des pyramides noires. Je pense bien sûr à remplir ma poche d’hydratation avant de contourner le temple. Le prochain temple est tout près lui aussi, à même pas trois kilomètres. Il s’agit du point de départ pour la course des 18km, ce qui signifie pour moi qu’il reste moins de 20km jusqu’à l’étape intermédiaire des 64km sur la terrasse des éléphants. Cela me remonte le moral, je n’ai pas de difficultés actuellement et cours encore assez facilement, mon rythme varie entre 6:20 et 7 min/km. Je me fixe de ne pas accélérer et me dis que ça ne devrait pas poser de problème pour les 100 km du point de vue condition physique.

Le parcours se poursuit de manière pittoresque le long du lac « Srah Srang », l’une des étendues d’eau artificelles du complexe de temples, et est toujours varié : des courts passages sur des pistes cyclables (oui, il en existe vraiment ici, en dehors des routes et avec une signalétique officielle) alternent avec des passages 100% trail à travers la jungle. Le mercure a encore grimpé et le ciel couvert laisse entrevoir de plus en plus de ciel bleu. Heureusement que le prochain point d’eau n’est plus trop loin, évidemment à côté d’un temple pour qu’il y ait de quoi comtempler pendant la pause. J’en profite pour m’enduire d’une nouvelle couche de crème solaire, cadeau publicitaire récupéré l’an dernier lors de la course du Rennsteig. C’est le conditionnement idéal pour se protéger en cours de route pendant la course : une fois tout badigeonné, le tube est vide.

Comme je me rappelle que nous passons à côté du temple caché (j’y avais vu le balisage lors de la visite le jour d’avant), je commence à m’impatienter un peu de le voir arriver. Mais avant d’y arriver, nous contournons encore le temple Neak Leang. Le temple caché et son accès très sableux apparaîssent enfin, pas très facile à parcourir mais ça reste dans les normes.

Ma montre GPS affiche maintenant plus de 60km. Une nouvelle traversée de barrage s’avère palpitante, les moyens de sûreté mis en place pour ne pas se cogner la tête à certains endroits sont intéressants : les diverses barres en métal et leviers ont été coiffés de bouteilles en plastique fixées avec du ruban de sureté. Je me ravitaille encore une fois en eau et en fruits juste de l’autre côté.
Nous entrons ensuite par la porte est dans le périmètre intérieur d’Angkor Thom, dans lequel se trouve aussi la terrasse des éléphants. Difficile d’imaginer aujourd’hui qu’à l’apogée du royaume khmer au 12e et 13e siècle, il s’agissait ici d’une des plus grandes cités au monde. La route mène droit au temple de Bayon qui constitue le centre d’Angkor Thom.

De là, la zone de départ et d’arrivée, qu’il faut traverser pour enregistrer le temps intermédiaire en tant que participant des 100km, n’est plus bien loin. Une nouvelle possibilité de ravitaillement avec repas est proposée. Je reprends des nouilles instantanées, ce qui tombe à pic avec le bouillon et les glucides. La gestion des coureurs des 100km est un peu particulière : chaque coureur est accompagné d’un guide personnel pour naviguer dans l’effervescence de la zone d’arrivée, l’accès au parcours n’étant pas restreint. Une file d’attente express pour les coureurs des 100km souhaitant se ravitailler en nouilles aurait été souhaitable, la compétition étant encore en cours. Le guide m’accompagne jusqu’à la sortie de la zone d’arrivée et donne les instructions sur la suite du parcours : emprunter le passage parallèle au canal d’arrivée puis rester sur la droite après le temple. Tout se passe bien, mais juste après, je ne distingue plus de balisage, jusque-là parfait, et dois chercher mon chemin.
Au final, c’est très simple : prendre en direction de la porte ouest et donc sortir d’Angkor Thom. Les possibilités de quitter l’ancienne cité sont de toute manière limitées en raison du mur et du fossé tout autour.

La course sur route donne un aperçu des prochains 36km. Je suis dans l’ensemble plutôt confiant de pouvoir maintenir mon rythme actuel. Mais c’était sans compter sur le tracé. Le parcours ne mène plus par une alternance de zones boisées et de sous-bois, mais la plupart du temps sur des routes en ligne droite en plein soleil. Je comprends maintenant pourquoi la casquette fait partie de l’équipement obligatoire.
Au bout d’un moment, je me rends compte que c’est impossible de courir en continu jusqu’au prochain point de ravitaillement. Ce n’est pas tant la condition physique qui me met en échec, il fait simplement beaucoup trop chaud et mes réserves d’eau diminuent plus vite qu’il ne faut. Cela me rassure un peu de voir que je ne suis pas le seul : j’aperçois au loin un autre coureur qui doit lui aussi marcher.
C’est là que la course devient une torture. Je suis content d’atteindre le prochain point de ravitaillement, à environ 74km. Dans ma tête, je peux cocher la distance de la course du Rennsteig (la ligne d’arrivée y aurait été franchie et on pourrait boire une bière sans alcool bien fraîche). Heureusement, de temps à autre, il y a du changement pour les pieds, le parcours traverse les champs par-ci par-là ou passe par des sentiers de trail, mais toujours sans ombre.

Les longs tronçons tout droit sur route me rappelent un peu la course Lighthouse Challenge sur l’île d’Öland : il y avait là aussi une « traversée du désert », cependant avec l’espoir de déguster une bière blanche sans alcool au prochain ravito et de ne devoir courir plus que 10km jusqu’à l’arrivée. Aujourd’hui par contre, les choses sérieuses ne font que commencer. Le paysage est marqué par l’agriculture et il est indéniable que nous passons maintenant en dehors des centres touristiques. La communication aux points de ravitaillement se fait grâce à un mélange d’anglais et de français, j’ai même plusieurs fois la chance qu’un coureur local est présent au même moment et peut servir d’interprète.

Je me réjouis de quitter le point de ravitaillement du kilomètre 81 : j’ai dépassé la marque de la course d’Öland, et une chose est sûre, il n’y a plus qu’une direction : vers l’arrivée, d’autant qu’il reste moins d’un semi-marathon. Toutefois, je ne parviens plus qu’à courir par intermittence et j’ai l’impression que quelquesoit la quantité d’eau et d’énergie que j’apporte, elle n’arrive plus jusque dans les muscles. Je me résigne donc à ne courir que sporadiquement là où c’est possible et de marcher rapidement le restant du temps. Rien d’inhabituel si je m’en réfère à d’autres courses ultra passées. Cependant la chaleur me pèse un peu plus. Je vise un temps final aux alentours de 14h en extrapolant mon rythme actuel de marche.

Le dernier point de ravitaillement est en vue, donc remplir la poche d’hydratation et je m’octroye aussi une grande partie de mes gels et barres énergétiques emportés restants, je mise le tout pour le tout. La chanson de Tim Bendzko « Hoch » (Plus haut) me vient à l’esprit, en particulier les paroles « De combien de (kilo)mètres supplémentaires avances-tu ? – Je commence seulement à compter quand ça fait mal » …

Le parcours continue de nous mener le long de différentes routes, mais plus nous nous rapprochons d’Angkor Thom, plus il y a d’arbres et donc d’ombre, même si ça pourrait être encore davantage. La chaleur de midi est passée, les ombres rallongent. Le parcours nous emmène une nouvelle fois dans la nature, on commence à entendre les cigales par endroits. C’est impressionant le bruit qu’elles peuvent émettre, et ça devient pesant. Enfin j’aperçois un panneau officiel : encore 5km jusqu’à l’arrivée. En comparant avec ma montre GPS, je constate un décalage d’environ 600m. J’en ai donc pour un tout petit plus que ce que laissait penser le GPS, mais je n’en suis plus à ça près.

Cela n’empêche que je me réjouis d’arriver sur la route d’accès juste avant la porte nord du complexe de temples et m’attends dans un premier temps à un finish en ligne droite. Raté, car il manque un peu moins de 3km au compteur et le complexe de temples fait exactement 3x3km. C’est donc reparti pour une boucle de trail, qui est bien costaude : elle monte sur les fortifications puis à travers les buissons. Je me rends compte qu’il est déjà bien tard et de la proximité de l’équateur : pas de crépuscule à proprement parler, la nuit tombe très vite, contraitement à ce dont je suis habitué, et d’autant plus quand on est encore en pleine broussaille. J’hésite un instant à ressortir ma lampe frontale, mais au final je devrais y arriver sans pour le dernier kilomètre.

Nous traversons le temple directement, avec naturellement des marches montantes et descendantes, ce qui est simplement atroce à ce moment de la course. Enfin arrive le finish le long de la terrasse des éléphants, et je franchis la ligne d’arrivée. Ca y est ! 100km sont enfin derrière moi.

À l’arrivée, l’organisateur a prévu un petit accueil et félicite les coureurs et ils se voient remettre un maillot finisher. Les nouilles instantanées à l’arrivée sont payantes, que je paie à l’aide de jetons sponsorisés, malheureusement il ne reste que la variante épicée. Cela ne me dérange pas plus que ça, mais je m’attendais tout de même à un peu plus. Autre point problématique : les toilettes non éclairées à cette heure tardive sont un peu éloignées et plutôt loin de la cérémonie de remise des prix avec les invités officiels (entre autres différents ministres du sport, de la culture et du tourisme ainsi que différents membres du comité olympique). L’impression générale est que ce n’est pas très professionnel, de même que le fait que les tente de massage aient déjà plié bagage.

Après la remise des prix officielle, retour à l’hôtel en navette, sans grandes difficultés. Je suis néanmoins accueilli par un petit contretemps : j’ai dû perdre ma carte-clé pendant la course, mais il s’agit d’un problème facile à résoudre.